
Alors que la société se digitalise à vitesse grand V, les prisons françaises amorcent leur transition numérique. Cette évolution soulève des questions cruciales sur les droits des détenus dans ce nouveau contexte technologique. Entre sécurité et réinsertion, quels sont les enjeux et les défis de cette modernisation carcérale ?
L’accès au numérique en prison : un droit fondamental en devenir
La transition numérique des établissements pénitentiaires pose la question de l’accès des détenus aux technologies de l’information et de la communication. Aujourd’hui, cet accès reste très limité dans les prisons françaises. Pourtant, de nombreux experts considèrent qu’il devrait être reconnu comme un droit fondamental, au même titre que l’accès à l’éducation ou aux soins.
L’enjeu est de taille : permettre aux prisonniers de maintenir un lien avec l’extérieur, de se former, de préparer leur réinsertion dans une société ultra-connectée. Certains pays comme la Norvège ou les Pays-Bas ont déjà franchi le pas en autorisant un accès contrôlé à internet dans les cellules. En France, les expérimentations restent timides, comme à la prison de Dijon où des tablettes sont mises à disposition pour l’enseignement.
Mais ce droit à la connexion se heurte à des impératifs de sécurité. Comment garantir que ces outils ne seront pas détournés à des fins illicites ? La Direction de l’Administration Pénitentiaire doit trouver un équilibre délicat entre ouverture numérique et contrôle.
La protection des données personnelles des détenus à l’heure du tout-numérique
L’informatisation croissante de la gestion carcérale soulève des inquiétudes quant à la protection de la vie privée des prisonniers. Les systèmes d’information pénitentiaires centralisent des données sensibles sur les détenus : dossiers judiciaires, médicaux, comportements en détention… Comment garantir la confidentialité de ces informations face aux risques de piratage ou d’utilisation abusive ?
Le Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD) s’applique en théorie aux prisons comme à toute autre administration. Mais sa mise en œuvre soulève des défis spécifiques en milieu carcéral. Les détenus doivent pouvoir exercer leurs droits d’accès, de rectification et d’opposition sur leurs données personnelles. Or, dans les faits, ces droits restent souvent théoriques faute de moyens ou de volonté de l’administration.
La Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés (CNIL) a émis plusieurs recommandations pour renforcer la protection des données en prison. Elle préconise notamment de limiter la durée de conservation des données, d’encadrer strictement leur partage entre administrations et de former le personnel pénitentiaire aux enjeux du RGPD.
La surveillance numérique en détention : jusqu’où peut-on aller ?
Les nouvelles technologies offrent des possibilités accrues de surveillance des détenus : vidéosurveillance intelligente, bracelets électroniques, analyse des communications… Ces outils promettent d’améliorer la sécurité mais posent question quant au respect des libertés individuelles.
La Cour européenne des droits de l’homme a rappelé à plusieurs reprises que les prisonniers conservent leurs droits fondamentaux, dont le droit au respect de la vie privée. Toute mesure de surveillance doit donc être proportionnée et strictement nécessaire. Or, la tentation est grande pour l’administration pénitentiaire d’utiliser massivement ces nouvelles technologies de contrôle.
Le développement de l’intelligence artificielle en milieu carcéral soulève des questions éthiques inédites. Des systèmes prédictifs sont par exemple expérimentés pour évaluer les risques de récidive ou de suicide. Mais ces algorithmes ne risquent-ils pas de perpétuer des biais discriminatoires ? Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté a alerté sur les dérives potentielles de ces outils.
Le numérique comme outil de réinsertion : quelles opportunités pour les détenus ?
Au-delà des enjeux sécuritaires, la transition numérique des prisons offre de nouvelles perspectives pour la réinsertion des détenus. L’accès encadré aux technologies peut favoriser le maintien des liens familiaux, l’éducation et la formation professionnelle.
Des initiatives innovantes voient le jour, comme le programme « Codeurs en liberté » qui forme des détenus au développement web. Ces compétences numériques sont un atout majeur pour l’insertion professionnelle à la sortie. Certains établissements expérimentent aussi la réalité virtuelle pour préparer les détenus au retour à la vie libre.
Le numérique peut également faciliter les démarches administratives et l’accès aux droits des prisonniers. Des bornes interactives sont progressivement déployées pour consulter son dossier pénal, effectuer des requêtes ou prendre rendez-vous avec les services pénitentiaires d’insertion et de probation.
Vers une « prison connectée » : les défis juridiques et éthiques
La perspective d’une prison totalement numérisée soulève des questions juridiques et éthiques complexes. Comment concilier les impératifs de sécurité avec le respect des libertés individuelles ? Quel cadre légal pour encadrer l’utilisation des technologies en détention ?
Le droit pénitentiaire français reste largement inadapté à ces nouveaux enjeux. Une réforme législative semble nécessaire pour clarifier les droits numériques des détenus et les obligations de l’administration. Le Conseil de l’Europe a d’ailleurs adopté en 2020 une recommandation sur l’intelligence artificielle dans les systèmes de justice pénale, qui pourrait inspirer le législateur français.
L’enjeu est aussi éthique : jusqu’où la technologie peut-elle se substituer à l’humain en prison ? Le risque d’une déshumanisation de la détention inquiète de nombreux observateurs. La Commission nationale consultative des droits de l’homme a ainsi appelé à maintenir le primat de la relation humaine dans l’accompagnement des détenus.
La transition numérique des prisons françaises est inéluctable, mais elle doit se faire dans le respect des droits fondamentaux des détenus. Entre impératifs de sécurité et enjeux de réinsertion, l’équilibre sera délicat à trouver. Une chose est sûre : cette révolution technologique rebattra les cartes du système carcéral dans les années à venir.