La prescription des frais d’hospitalisation impayés : quels enjeux juridiques et financiers ?

Le non-paiement des frais d’hospitalisation constitue une problématique majeure pour les établissements de santé, confrontés à des impayés qui fragilisent leur équilibre budgétaire. Face à cette situation, la prescription apparaît comme un mécanisme juridique déterminant, encadrant strictement les délais de recouvrement. Quelles sont les règles applicables ? Comment s’articulent les différents régimes de prescription ? Quels impacts pour les patients et les hôpitaux ? Examinons les subtilités de ce dispositif aux enjeux considérables pour notre système de santé.

Le cadre légal de la prescription des frais hospitaliers

La prescription des frais d’hospitalisation s’inscrit dans un cadre juridique précis, défini par plusieurs textes de loi. Le Code de la santé publique et le Code de la sécurité sociale constituent les principales sources normatives en la matière.

L’article L. 1111-5 du Code de la santé publique pose le principe général selon lequel les frais d’hospitalisation sont dus par le patient ou sa famille. Toutefois, le recouvrement de ces sommes est soumis à des délais stricts.

Le délai de prescription de droit commun est fixé à 5 ans par l’article 2224 du Code civil. Ce délai s’applique en principe aux créances hospitalières. Néanmoins, des régimes spécifiques peuvent prévoir des délais plus courts.

Ainsi, l’article L. 332-1 du Code de la sécurité sociale instaure un délai de prescription de 2 ans pour l’action en paiement des prestations de l’assurance maladie. Ce délai s’applique aux établissements publics de santé pour le recouvrement de la part des frais pris en charge par l’assurance maladie.

Pour les hôpitaux publics, le Code général des collectivités territoriales prévoit en outre des règles particulières. L’article L. 1617-5 fixe notamment un délai de 4 ans pour les créances non fiscales des collectivités territoriales, applicable aux établissements publics de santé.

Le point de départ du délai de prescription

La détermination du point de départ du délai de prescription revêt une importance capitale. Elle conditionne en effet la période pendant laquelle l’établissement de santé peut légalement poursuivre le recouvrement des frais impayés.

En principe, le délai de prescription commence à courir à compter de la date d’exigibilité de la créance. Pour les frais d’hospitalisation, cette date correspond généralement à la sortie du patient de l’établissement.

Toutefois, la jurisprudence a apporté des précisions importantes :

  • En cas d’hospitalisation longue, le point de départ peut être fixé à la date de chaque facture intermédiaire
  • Pour les soins ambulatoires, le délai court à compter de chaque acte médical
  • En cas de prise en charge par l’assurance maladie, le délai débute à la date de remboursement par la caisse

Par ailleurs, certains événements peuvent interrompre ou suspendre le délai de prescription :

L’interruption fait courir un nouveau délai de même durée que l’ancien. Elle peut résulter notamment d’une reconnaissance de dette du débiteur ou d’un acte d’exécution forcée.

La suspension arrête temporairement le cours de la prescription sans effacer le délai déjà couru. Elle peut intervenir en cas d’impossibilité d’agir du créancier ou de négociations entre les parties.

Les spécificités selon le statut de l’établissement

Le régime de prescription applicable aux frais d’hospitalisation varie selon la nature juridique de l’établissement de santé concerné. Cette distinction emporte des conséquences significatives sur les délais et procédures de recouvrement.

Pour les établissements publics de santé, le recouvrement des créances relève du droit public. Les hôpitaux publics bénéficient ainsi de prérogatives particulières :

  • Émission de titres exécutoires permettant des mesures d’exécution forcée
  • Recours possible à l’opposition à tiers détenteur pour saisir directement les sommes dues sur les comptes bancaires du débiteur
  • Intervention du comptable public pour le recouvrement des créances

Le délai de prescription applicable est en principe de 4 ans, conformément à l’article L. 1617-5 du Code général des collectivités territoriales.

Pour les établissements de santé privés, qu’ils soient à but lucratif ou non, le recouvrement s’effectue selon les règles du droit privé. Le délai de prescription de droit commun de 5 ans s’applique généralement.

Les cliniques privées ne disposent pas des mêmes prérogatives que les hôpitaux publics. Elles doivent ainsi obtenir un titre exécutoire judiciaire (jugement) pour procéder à des mesures d’exécution forcée.

Enfin, pour les établissements de santé privés d’intérêt collectif (ESPIC), un régime hybride s’applique. Bien que relevant du droit privé, ils peuvent bénéficier de certaines prérogatives de puissance publique pour le recouvrement de leurs créances.

Les recours et moyens de défense du patient

Face à une action en recouvrement de frais d’hospitalisation, le patient dispose de plusieurs moyens de défense et voies de recours. Il convient d’examiner les principales options à sa disposition.

La prescription constitue un moyen de défense efficace. Le patient peut l’invoquer à tout moment de la procédure, y compris en appel. Il lui appartient toutefois de prouver que le délai de prescription est écoulé.

Le patient peut contester le bien-fondé de la créance en démontrant par exemple :

  • Une erreur de facturation
  • La non-réalisation de certains actes facturés
  • L’application d’un tarif erroné

En cas de difficultés financières, le patient peut solliciter des délais de paiement ou une remise gracieuse de sa dette. Ces demandes doivent être adressées au directeur de l’établissement ou au comptable public pour les hôpitaux publics.

Le recours à la Commission des usagers (CDU) de l’établissement peut s’avérer utile pour tenter une médiation et trouver une solution amiable.

En dernier recours, le patient peut contester judiciairement la créance devant les juridictions compétentes :

– Le tribunal judiciaire pour les établissements privés

– Le tribunal administratif pour les hôpitaux publics

Il est recommandé au patient de se faire assister par un avocat spécialisé en droit de la santé pour optimiser ses chances de succès.

Les enjeux et perspectives d’évolution

La prescription des frais d’hospitalisation soulève des enjeux majeurs, tant pour les établissements de santé que pour les patients. Elle s’inscrit dans un contexte de tensions budgétaires croissantes pour le système de santé.

Pour les hôpitaux, le non-recouvrement des créances prescrites représente un manque à gagner significatif. Selon la Cour des comptes, les restes à recouvrer des établissements publics de santé s’élevaient à 1,5 milliard d’euros en 2019. La prescription contribue à fragiliser leur situation financière déjà précaire.

Face à ce constat, de nombreux établissements ont mis en place des cellules de recouvrement dédiées et renforcé leurs procédures. Certains expérimentent des solutions innovantes comme le paiement à l’entrée ou le prélèvement automatique.

Pour les patients, la prescription peut constituer une protection contre des poursuites tardives. Elle permet d’éviter l’accumulation de dettes anciennes potentiellement dévastatrices pour leur situation financière.

Toutefois, le raccourcissement des délais de prescription observé ces dernières années tend à réduire cette protection. Il expose davantage les patients en difficulté à des poursuites rapides.

Au niveau législatif, plusieurs pistes d’évolution sont envisagées :

  • L’harmonisation des délais de prescription entre établissements publics et privés
  • Le renforcement des mécanismes de solidarité pour les patients en difficulté
  • L’amélioration de l’information des usagers sur leurs droits et obligations

La dématérialisation croissante des procédures de facturation et de recouvrement pourrait par ailleurs modifier en profondeur les pratiques actuelles.

Enfin, le développement de l’intelligence artificielle ouvre de nouvelles perspectives pour optimiser le recouvrement tout en préservant les droits des patients.

L’équilibre entre efficacité du recouvrement et protection des usagers constitue ainsi un défi majeur pour l’avenir de notre système de santé.